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Cuba, aéroport de La Havane, 21 juin 2017. Il est 04h00 du matin, le réveil sonne. On ouvre les yeux, dans le hall sur nos tapis de sol après quelques heures de sommeil. Dans 3 heures, notre avion pour Montréal décolle et l’enregistrement ne commence que maintenant. Encore une particularité cubaine, aucune compagnie n’est autorisée à enregistrer les bagages plus de 3 heures avant le décollage. Même quand les bagages sont des vélos. On se retrouve donc à faire la queue, au milieu de tous les passagers avec nos deux compagnons de routes et toutes leurs sacoches. Ils ne sont pas emballés car, après que nous nous soyons rendus à deux reprises à l’office de Air Canada dans la Havane, l’employé de l’agence nous y avait bien confirmé que la compagnie nous fournirait des « sacs » à l’aéroport… Pourtant arrivés au guichet, une steward nous dit que non, ça fait des années qu’il ne donne plus de sacs ! Il est maintenant 5h00 du matin, l’avion décolle dans moins de 2 heures, on n’aura jamais le temps de trouver des cartons ! La steward nous dit alors que ce n’est pas du tout un problème, on va simplement mettre les vélos comme ça, sans protection, dans la soute. On aura juste le temps de dégonfler les pneus et de tourner les guidons avant d’assister impuissants, au départ de nos chers vélos qui disparaissent dans un ascenseur…

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On les récupérera quelques heures plus tard à l’aéroport de Toronto, quasi intactes, à part quelques égratignures. Ouf… Soulagés. Mais notre mission « avion-vélos » n’est pas encore terminée. Effectivement, on a 7 heures pour rejoindre l’aéroport d’Hamilton qui se trouve à plus de 80 km, pour prendre un autre avion jusqu’à Montréal. Une navette nous emmène jusqu’au centre-ville d’Hamilton puis un autre bus jusqu’à l’aéroport. Nos vélos sont installés sur des portes-vélos à l’avant du bus. Le chauffeur s’amuse de nos regards surpris. Ici, c’est une chose complétement banale. Par contre, au guichet d’Air Canada, pour l’enregistrement des vélos, les stewards n’ont pas du tout l’air de trouver ça banal qu’on se pointe avec nos vélos pas emballés. On leur explique alors tout ce qu’il s’est passé. Ils hallucinent. C’est ici impensable d’embarquer un vélo non-emballé, c’est-à-dire pas en accord avec les normes de sécurité. Mais ils sont coincés, car c’est tout de même leur compagnie qui nous a autorisé à embarquer les vélos sans cartons et qui fait qu’on se retrouve dans cette situation… Finalement, à 10 minutes de la fin des enregistrements, on trouve une solution d’urgence. On enroule les vélos dans notre grande bâche bleue de camping, colmatant le tout avec du scotch… Les stewarts, très sympas, se marrent en voyant cet énorme « bagage », c’est du jamais vu ! On arrivera tous sains et saufs à l’aéroport de Montréal à 20h00. On décide de dormir sur place et après avoir trouvé un coin sur des canapés, on s’écroule, épuisés par cette longue journée.

 

Le lendemain matin, je suis réveillée par les annonces pour les prochains vols et le léger brouhaha des gens qui passent. J’entrouvre un œil cherchant alors nos réveille-matins habituels. Introuvables. Ici, les haut-parleurs ont remplacés les coqs. J’ai du oublié qu’on était de retour dans le monde de la modernité. Pareil pour les toilettes auxquelles je me rends, l’esprit brumeux, les yeux encore tout collés et les cheveux en pétard. Un robinet d’eau potable, bonne et fraiche m’attend à l’entrée. Les WC me paraissent immenses, ultra propres et luxueux. Dans chaque cabine, du papier toilette à profusion. Fini les vieux bouts de papiers journal de mauvaise propagande cubains. Ici pas de rationnement, c’est l’abondance. A tous les lavabos, j’y trouve du savon. J’ai le choix entre de l’eau chaude ou froide. Je peux choisir de me sécher les mains avec du papier spécial ou d’utiliser un sèche-main sophistiqué en mode dernière technologie. A côté de celui-ci, une tablette accrochée au mur me demande si je suis satisfaite de mon passage dans ces fascinantes toilettes. Je regarde alors dans l’énorme miroir qui se dresse face à moi. Je me découvre un corps plus musclé et sec. Ma peau est brune et mes cheveux, blonds, décolorés par le sel marin et les rayons du soleil des tropiques. Je réalise à quel point cinq mois de voilier et deux mois de vélos à Cuba m’ont changée physiquement. En approchant mon reflet, je fixe mon propre regard. Oui, c’est bien moi qui se tient-là. Je crois que j’avais un peu oublié à quel point le niveau de confort d’une vie à l’occidental est élevé. D’où mon extase face à la rassurante présence d’un rouleau de papier toilette, puis cette agréable impression d’être chanceuse d’avoir du savon qui me tombe dans la main quand j’appuie sur le distributeur et aussi ce sentiment d’être privilégiée quand j’ai pu choisir à quelle température je voulais que soit l’eau pour me laver les mains…

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Toujours en train de fixer mon regard, je souris puis éclate de rire intérieurement. On est quand même des drôles d'animaux, nous les humains. On croit avoir des préoccupations existentielles, larges, extraordinaires. Elles sont pourtant souvent involontairement tellement nombrilistes et pathétiques à la fois... En une journée, je suis partie de la Havane, Cuba pour arriver à Montréal, Canada. L'avion m'a parachutée dans un autre pays, une autre histoire, une autre réalité.  Ici, les gens ont d'autres préoccupations. Pas moins existentielles, pas plus pathétiques, juste différentes. Adaptées à une autre réalité, évoluant dans un autre contexte. Je réalise à quel point ma vision du monde dépend de ce que j'y vois, évolue au fil de mes expériences et interfère du coup sur la vision que j'ai de moi-même. N'est-ce pas dans la découverte des autres qu'on observe le reflet de nous-mêmes ? Tellement de personnes sur cette planète. Tellement de réalités différentes. Tout est tellement relatif, en fait. Comme ce voyage qui dure depuis bientôt neuf mois maintenant. Comme cette planète. Rien n'est figé, au final. 

"Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme."

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Le monde bouge et je l'accompagne. Il se transforme sous mes yeux et me change à mon tour. 

Interalliés, on avance au rythme de nos mutations. Interdépendants, on tente une rEvolution.

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