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Guatemala, San Pedro La Laguna, mars 2018

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Les trois premiers jours au bord de lac Atitlan sont dédiés à la farniente. On se repose et on mange tout ce qu'il nous fait plaisir dans les nombreux restaurants de cette petite ville, où cohabitent locaux et voyageurs en tout genre. Au fil de la semaine, les rues pavées se remplissent et deviennent bientôt bondées. C'est le début de la Semaine Sainte et c'est pendant cette semaine de l'année que l'on compte le plus de visiteurs, autant guatémaltèques qu'étrangers. Des décorations sont installées dans les rues pour accueillir l'évènement le plus important : La procession. Pendant presque toute une nuit, deux groupes d'une vingtaine d'hommes et de femmes porteront deux énormes structures en bois, sur lesquelles se dressent une représentation de Jésus portée par les hommes et une de la Vierge de Guadalupe portée par les femmes. Vêtus de longues tuniques blanches et violettes, les hommes ressemblent à des prêtres catholiques tandis que les femmes vêtues d'habits plus folkloriques représentent davantage les croyances locales. Je suis assez impressionnée par le résultat de la fusion entre religion chrétienne et croyances "réinterprétées", encore influencées par les traditions locales. C'est comme si les deux avaient d'une certaine manière communiés pour former une célébration unique en son genre.

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En parallèle, on ira aussi fêter mes 26 ans. D'abord dans un concert de musique rock local qui bat son plein dans un restaurant-bar prisé, autant par les jeunes guatémaltèques que les voyageurs. Puis ce sera soirée salsa dans un autre bar, plus loin sur la rue principale. Puis enfin, pour les infatigables, de la musique trance dans le bar d'un hôtel, au bord du lac. La police finira par mettre fin à la fête, virer tout le monde ainsi que nous fouiller avant de nous laisser partir. De manière générale les fêtes, quand il y en a, se terminent tôt en Amérique centrale, sûrement dû aux problèmes de violence et de trafics de drogue présents dans tous ces pays.

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Après une bonne semaine à San Pedro, on s'en va pour un lieu qui s'annonce somptueux : le volcan El Fuego. Un couple de cyclistes, un argentin et une espagnole, rencontré juste avant San Pedro nous en avaient parlé avec milles étoiles dans les yeux, nous confirmant qu'on ne pouvait pas louper ça. Selon eux, ce qui nous attend dépasse notre imagination.

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Pour s'y rendre, il nous faut retraverser le lac jusqu'à Panajachel. De là, on alternera le vélo et le stop pour parcourir les 80 km qui nous séparent du hameau nommé "Soledad", qui marque le point de départ du trek sur le volcan Acatenango. Un pick-up nous emmène en haut de la première grosse montée pour nous laisser à une bifurcation, d'où on enfourche nos vélos pour s'élancer dans une longue descente au bout de laquelle un des pneus à Denis crève. Après 10 minutes d'attente, le premier pick-up qui passe s'arrête et nous embarque. Le vieux véhicule peine un peu dans cette montée très raide. Le charmant couple qui nous conduit s'arrête bientôt devant une maison du village : c'est chez eux. On s'apprête alors à descendre quand l'homme, après s'être intéressé à notre voyage, propose de tirer encore un peu pour nous déposer en haut de la montée, 12 km plus loin. Alors que l'on continue à monter, un épais brouillard apparaît devant nous pour finalement nous envelopper complètement. On ne voit pas à trois mètres ! Amusé de notre surprise, le conducteur nous explique que cette brume dense est due à la présence combinée du lac, des volcans et de l'altitude. Il nous dépose alors à la sortie du village bordé par des champs d'où l'on devine à travers la brume des personnes en train de travailler la terre. Je suis surprise du froid, il doit faire 10 degrés de moins que 12 km plus bas ! C'est dans ce décor un peu irréel que Denis répare son pneu tandis que je cuis des nouilles. Des villageois nous observe de l'autre côté de la route, intrigués. On roule une trentaine de km, principalement de descente. La route est parfois soudainement coupée par le brouillard. On ne voit alors rien sur cent mètres, puis le soleil réapparait. Phénomène certes dangereux quand on descend la montagne à pleine vitesse en descente mais qui apporte une touche magique aux paysages. Arrivés en bas, il reste une longue montée avant d'atteindre Soledad. Heureusement la chance nous sourit, car à peine on se met à faire du stop qu'un 4x4 s'arrête. Le conducteur va justement jusqu'à Soledad ! Il nous y dépose juste avant la tombée de la nuit.

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On est alors vite abordé par un jeune qui nous propose d'abord ses services de guide. On refuse mais lui demande s'il connaît un endroit où on pourrait camper "seguro" pour la nuit. Accompagné de ces deux petits frères, il nous montre le terrain à côté de leur maison. On peut y camper pour 20 quetzals (3 CHF). Cette nuit-là sera loin d'être la plus reposante. Toutes les heures, un camion passe sur la route à cinq mètres de nous et s'accompagne d'un "salut" du conducteur, qui se traduit par un long coup de klaxon assez bruyant pour être entendu depuis San Pedro. C'est chaque fois précisément à ce moment-là qu'un coq décide que c'est aussi à son tour de pousser une gueulée. Puis évidemment, tous les autres coqs des environs répondent alors en cœur à cet appel. Précisons que celui qui tourne autour de notre tente a l'air d'aimer particulièrement ces vocalises nocturnes. Les chiens se disent qu'après tout eux aussi ont leur droit de parole tandis qu'au loin, de temps à autres, le volcan El Fuego fait rugir les entrailles de la Terre pour faire taire la basse-cour et nous rappeler à tous, qui est le vrai maître des lieux.

 

Au petit matin, de la cendre recouvre la tente et le brouillard est dense. Après s'être ravitaillés en eau et en nourriture, on laisse nos vélos et le reste des affaires chez nos hôtes. Denis chargé de son sac à dos et moi d'une sacoche en bandoulière, on entame la marche de trois heures et demi qui nous mènera jusqu'aux "terrazas", lieux de campements à flanc de volcan. On prévoit d'y passer la nuit, à 3600 mètres. Les deux premières heures de marche sont assez éprouvantes car ça monte très raide. On traverse d'abord des champs sur des sentiers de terre sablonneuse dans laquelle les pieds s'enfoncent et glissent. Puis on atteint le point d'enregistrement où il faut payer 50 quetzals chacun (5 Euros). On se retrouve ensuite sur un sentier sinueux qui continue de monter dans une épaisse forêt cette fois. On dépasse des groupes avec guides et on atteint finalement la dernière zone avant les terrasses. La végétation devient plus sèche et moins dense. Avec le brouillard toujours très épais, on avance sans voir à plus de 10 mètres mais on sait qu'il faut toujours prendre à gauche. Soudain, le sentier arrête de monter et se met à longer le volcan : on y est presque. Le brouillard se dégage un peu alors qu'on arrive aux terrasses. On en choisi une un peu en retrait pour y installer notre campement.

 

Le brouillard se dissipe toujours un peu plus et le soleil fait son retour. Le volcan El Fuego, dont on entendait les éruptions mais qui restait encore invisible, se dévoile alors petit à petit. Il finit par apparaître en entier devant nous, énorme et majestueux. Ses flancs se découpent dans le ciel maintenant bleu et complètement dégagé. Toutes les trente minutes environ, le volcan gronde et de la fumée sort du cratère. Les éruptions paraissent de plus en plus grosses au fur et à mesure que la nuit arrive, jusqu'à l'apothéose. Au coucher du soleil, alors que le ciel se teinte de rose et que la lumière devient mystique, le volcan rugit comme jamais et la lave gicle avec une puissance qui nous coupe le souffle. Le moment de surprise passé, on se met à crier de joie, accompagnés par d'autres spectateurs installés aux autres terrasses, célébrant le spectacle époustouflant qui se déroule sous nos yeux, la puissance à l'état pur de la Nature. On est subjugués. On finira quand même par s'endormir dans la tente mais placée de manière à pouvoir continuer de regarder les éruptions dans la nuit. On ferme les yeux sur ces images irréelles de lave en fusion, bercés par le grondement des éruptions incessantes. Certaines seront tellement fortes qu'elles nous réveilleront en sursaut dans la nuit.

 

Aux premières lueurs du matin, je sors de la tente. Avec le lever du soleil, la vue est simplement magique. Une mer de nuages recouvre tout, exceptés le volcan El Fuego et le volcan El Agua plus loin sur la gauche. Le soleil les inondant d'une lumière aveuglante, ils se tiennent là, droits et imposants, en authentiques représentants de la puissance incontestable de notre Terre.

 

Après un petit-déjeuner dans ce cadre de rêve, on entame la descente du retour. De retour à Soledad en début d'après-midi, on récupère nos vélos et nos affaires et décide de partir pour Antigua malgré la fatigue. Seulement 25 km nous sépare de la ville dont 15 de descente et le reste devrait être plat. Nous sommes d'autant plus motivés qu'on sait qu'un lit douillet et une bonne douche nous attendent. Sur Warmshower, un hôtel prétend offrir une nuit gratuite en dortoir aux cyclo-voyageurs et on compte bien en profiter. C'est donc là aussi tout sales et fatigués qu'on débarque dans l'ancienne capitale dont les routes pavées finissent de nous achever. Mais comme toujours après l'effort, le réconfort est au rendez-vous. L'hôtel nous accueille bien comme prévu, avec douche chaude et salle télé avec films à volonté sur Netflix. On est contents.

 

On restera une deuxième nuit (payante cette fois) à l'hôtel et on y rencontre deux cyclistes canadiens, Wess et Brandon, partis de Kelowna, au Canada en novembre 2017 pour entamer ce voyage à vélo qui est le premier pour eux aussi. Ils prévoient d'aller jusqu'en Colombie. On décide de partir le lendemain ensemble pour rejoindre le Salvador qui se trouve à 150 km de là. On pense atteindre la frontière en deux jours, deux étapes de 75 km. La première journée commence par une magnifique longue descente de 35 km. Denis manque de peu de se faire renverser par une voiture juste devant moi. Le conducteur l'évitera de justesse pendant que mon sang ne fait qu'un tour. Cette fois, c'est vraiment pas passé loin... Arrivés en bas, on attend Brandon qui a crevé en chemin puis on va manger dans le resto d'une station-service. Un homme avec un pistolet à la ceinture attire notre attention. Ayant l'air sympathique, Denis ose lui demander pourquoi il a une arme, s'il est de la police. L'homme rit et lui répond que non, il n'est pas de la police mais qu'il porte une arme car c'est dangereux par ici. Un peu perplexe de cet échange, on reprend la route. Quelques kilomètres plus loin, je vois un grand graffiti sur un mur : " MARA 18 ". Nous sommes donc effectivement potentiellement en "territoire dangereux", les Maras étant des gangs redoutés, réputés d'une grande violence, présents au Guatemala mais aussi au Salvador et en Honduras. Ne faisant que passer, on ne verra rien de plus. On atteint sans problèmes en fin d'après-midi le balneario repéré sur Overlander. Il y a une piscine et des tables avec un toit. Le propriétaire est d'accord pour qu'on y campe. C'est parfait. Alors qu'il se met à pleuvoir des cordes, Denis court après un pick-up qui s'en va pour leur demander où on peut acheter des bières dans le coin. Deux femmes assises à l'arrière, très extraverties et un peu éméchées lui en offrent quatre, s'en vont en lui lançant des bisous puis finalement reviennent pour lui donner quatre bières supplémentaires. Merci et à votre santé !

 

Le lendemain matin, on assiste à une sorte de communion de deux jeunes filles au bord de la rivière du balneario. Toute la famille est présente et ils chantent tous ensemble menés par la litanie du prêtre. Nous sommes assez impressionnés, certains ont l'air presque en transe. On s'en va discrètement avec nos amis, il est temps pour nous de reprendre la route.

 

Chacun trouve son rythme et on se perd vite de vue pour se retrouver plus loin puis se perdre à nouveau. Alors que je retrouve Denis et qu'on décide de s'arrêter pour attendre Brandon qui a crevé, des personnes occupées à boire des bières au bord de la route nous interpellent. C'est les deux femmes de la veille ! On rit en se saluant et elles s'empressent de nous offrir à nouveau deux bières. L'une obèse et très maquillée drague Denis avec humour tandis que l'autre, malicieuse me demande où est "Brad Pitt" (Brandon). Celui-ci finit par débarquer et on finit par se prendre en photos en enchainant les blagues. De vraies forces de la vie, ces femmes-là !

 

Wess déjà loin devant, on s'arrête les trois manger dans un restaurant. Pour 2-3 $ on y mange bien. Il fait une chaleur assommante et le vieux ventilateur au plafond peine à nous rafraichir. Les 35 derniers kilomètres seront éprouvants. Le soleil brûle et il n'y a pas d'air. La panaméricaine monte et descend inlassablement, souvent pleine de trous. Alors qu'on arrive enfin à la ville-frontière où on a prévu de passer la nuit chez les pompiers, une file de camions se forme sur au moins 3 km. Un camionneur me siffle et me lance un regard pervers. Excédée, je lui lève mon doigt d'honneur. Dans ces moment-là de fatigue intense, je suis facilement irritable. Les machos n'ont qu'a bien se tenir, je pourrais tuer un cheval d'un coup de tête !

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On se retrouve les quatre à la station-service pour se rendre chez les pompiers. Ils nous laissent généreusement poser les tentes vers le camion sous un toit et laisse la porte des toilettes et de la douche ouverte. L'eau fraiche fait l'effet d'une renaissance.

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Demain, on quittera le Guatemala pour un nouveau pays inconnu : le Salvador.

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