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Après avoir payé la taxe de 20 USD de sortie du Bélize et changé nos dollars béliziens en quetzals, nous voilà en selle pour la découverte du pays réputé être le cœur du monde maya : le Guatemala. Arrivant par le Nord-Est du pays, on traverse d'abord la région du Petén, connue surtout pour le site archéologique de Tikal et la belle ville de Flores.

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Notre première nuit au Guatemala se fait chez l'habitant, une vingtaine de kilomètres après la frontière. C'est Susi qui nous accueille chez elle, nous laissant poser la tente à l'abri sur le perron de sa modeste maison. Elle nous propose gentiment de cuisiner nos pâtes sur le tonneau en fer retourné qui lui sert de "plaques", les braises du feu de bois étant déjà bien chaudes. Puis elle nous offre du fromage, des tortillas et des "tamarindos" (brioche locale à la farine de maïs) le tout fait par elle-même de A à Z à la main ( jusqu’à moudre les grains pour faire la farine) ainsi que deux verres de lait frais. On insiste alors pour qu’elle et son mari partagent avec nous les pâtes à la sauce tomate qu’on a cuisiné. Elle nous confie plus tard qu'elle rêve de partir pour les États-Unis. Des membres de sa famille vivent déjà à New York et une de ses amies proches vient de rejoindre "l'Eldorado" à son tour, malgré de grosses complications d'immigration à la frontière. Elle trouve qu’ici c’est trop pauvre et qu’il n’y rien à faire.

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Au petit matin, on quitte Susi direction la ville de Flores. La route doucement vallonnée nous remet en jambe avec ses petites montées-descentes qui s'enchaînent et cette vue sur une jungle luxuriante couverte de brume. Des enfants aux sourires timides s'en vont à l'école, quelques coqs infatigables continuent de gueuler, des vaches un peu snobs nous regardent passer en ruminant, les oiseaux chantent, la campagne du Petén se réveille tranquillement. La route continue de s'éloigner de la côte et nous fait pédaler toujours plus à l'ouest. On gagne que légèrement en altitude mais l'air est quand même un peu plus frais. On roule jusque dans l'après-midi. On arrive alors au bout de la route bordée par une base militaire. Des soldats postés aux miradors, las et ennuyés, nous regardent passer pour faire place aux énormes panneaux publicitaires qui marquent l’entrée dans Santa Elena, suivis d’un McDonald's, d’un KFC et d’un grand centre commercial. Bonjour, Mme Mondialisation est de retour !

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Comme nous le fait remarquer un habitant de Flores, la vie dans les villes se calque toujours plus sur le modèle capitaliste au détriment parfois de coutumes traditionnelles plus saines. La nourriture par exemple, perd de sa richesse. Ici aussi, les nouvelles générations sont peu à peu conquises (ou envahies ?) par la culture fast-food. Bien qu'il y ait encore peu de supermarchés, la consommation de produits industriels de mauvaise qualité gagne gentiment du terrain sur celle des produits frais et locaux qu'on trouve dans les marchés. Selon ce père de deux enfants, issu d'une famille paysanne, " les gens ne savent plus se nourrir correctement dans les villes. Du coup, ils sont en mauvaise santé et tombent malade. Et ils ne savent plus se soigner comme avant non plus. Ils dépendent des médicaments chimiques vendus dans les pharmacies. Dans les campagnes, les gens se soignent davantage eux-mêmes, avec des plantes et mangent mieux. Dans les villes, toutes ces mœurs se perdent...".

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La suite du voyage nous montrera qu'effectivement, dans les régions rurales des montagnes, certains villages isolés ne sont pas encore concernés par ce phénomène et ont su garder des coutumes plus traditionnelles mais le développement économique les rattrape tout de même à travers la déforestation, entre autres. Celle-ci sert à l'exploitation de ressources premières, comme celle des bois précieux, mais aussi à permettre une optimisation des performances agricoles du pays. Et ça évidemment, au détriment de la faune et flore locale mais aussi du mode de vie traditionnel des habitants. Je commence alors à comprendre un peu mieux le désir idéalisé qu'ont certains de partir pour le Nord en quête d'une vie meilleure ou d'un salaire plus élevé. D’ailleurs, beaucoup de Guatémaltèques nous diront avoir de la famille aux États-Unis et plus particulièrement à New York. Certains émigrent par leurs propres moyens tandis que d'autres sont mandatés et placés par des entreprises offrant des mains d'œuvres bon marchés au Canada ou aux USA, et y travaillent quelques mois. Un homme rencontré au bord de la route, nous racontera avoir travaillé huit mois au Québec dans un élevage de vaches. Pendant ces mois, il bossait 16 heures par jour, 7 jours sur 7, pour un salaire d'environ 1000 quetzals par jour (environ 140 CHF) ce qui revient à un salaire d'environ 9 CHF de l'heure. C'est un peu moins que le salaire minimum au Canada mais il reste très rentable pour eux sachant que le salaire moyen au Guatemala est de 4 CHf par jour ! Cet attrait économique a des conséquences sur la vie locale du pays. Indirectement, il engendre un chamboulement de la culture et des mœurs. Dans ce pays où les traditions indigènes sont encore bien présentes, on observe tout de même une occidentalisation des mœurs, la mondialisation ayant déjà bien commencé son travail d'uniformisation de la société.

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Nous traversons la région du Petén en quatre jours. Après un déjeuner au bord de l'eau à Flores avec une vue splendide sur le lac, on quitte la ville par une piste. Un raccourci qui nous fera rejoindre la route principale 25 kilomètres plus loin. La végétation s'appauvrit un peu pour faire place à des champs de monoculture. C'est quand même très vert et beaucoup de rivières bien fraîches et pures traversent la route ce qui rend notre avancée agréable. On n’a jamais trop chaud au point de devoir faire de longues pauses à l'ombre, les rivières nous permettant de "cool down" rapidement et d'avoir toujours assez d'eau. Après avoir passé une rivière sur un traversier, on passe notre dernière nuit dans le Petén dans le Parc National El Rosario. On y trouve une magnifique lagune au milieu de la jungle au bord de laquelle on peut camper gratuitement. On rencontre alors Anthony et Marie, un couple de bretons partis en van des USA pour rejoindre Ushuaia en Argentine. On sympathise vite et décide de se rendre le lendemain ensemble avec le van sur un site de ruines mayas.

 

Le site sera malheureusement inatteignable à cause de la piste trop défoncée. Impossible pour le vieux van de franchir les énormes trous qui recouvrent la route. On fait demi-tour pour se rendre finalement 80 km plus loin, près d'Antonio de las Cuevas, dans un balneario (sorte de camping locale) qui borde une rivière sortant d'une impressionnante grotte. Le lendemain, on quitte ce bel endroit et dit au revoir à nos amis pour poursuivre jusqu'à la petite ville de Chisec, qui marque le début des affaires sérieuses : la traversée des chaînes de montagnes de " l'Alta et la Baja Verapaz", jusqu'au lac Atitlan, en passant par Coban et Chichicastenango.

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A Chisec, on mange une pizza dans un boui-boui tenu par un jeune adolescent professionnel qui prend son rôle de pizzaiolo-serveur très au sérieux. Avec ses manières, il nous fait presque sentir dans un vrai restaurant. Le chef en herbe nous dit avoir appris dans une pizzeria tenue par des Canadiens dans le Petén. Vu son jeune âge, je me dis que sa vie de travailleur à l’air d’être déjà bien remplie…

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Alors qu’on s’arrête acheter quelques légumes avant de quitter la ville, on assiste à une scène mémorable. Alors qu’un vieillard d’au moins 80 ans dort devant le magasin, assis sur un muret appuyé sur un bâton la tête penchée en avant, un autre tout aussi vieux et courbé en sort, l’air triomphant, une bouteille d’aguardiente (alcool fort bon marché) dans une main et sa canne dans l’autre. Il rejoint son compère endormi, s’assoit à côté de lui et s’enfile d’un coup la moitié de la bouteille. Il secoue alors son ami, peine à le réveiller puis insiste pour qu’il boive le reste de l’alcool. Cela fait, son ami se rendort directement alors que l’autre s’en va titubant, s’agrippant à tout ce qu’il peut. La scène est d’autant plus comique que tout le monde les regarde et se marre joyeusement, comme si c’était le spectacle habituel du dimanche de voir ces deux petits vieux se mettre une taule royale. Du grand art.

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Pour nous cyclo-voyageurs, ici « les choses sérieuses » signifient des montées très raides qui s’enchainent inlassablement sur des routes en mauvaise état. On doit pourtant les partager avec les camions de marchandises qui crachent de la fumée noire et les bus de transport qui roulent à pleine vitesse malgré les virages en lacet. Le soleil, fort et brûlant, nous tape sur la tête et nous fait transpirer à grosses gouttes. Quelques kilomètres après Chisec, l’effort et la chaleur nous fait tourner la tête. Arrêtés au bord de la route, on regarde sur la carte pour voir que le balneario où on prévoyait de s’arrêter est encore à 35 kilomètres d’ici ! Il fait nuit dans deux heures, avec ces montées qui nous oblige à être très lent, on n’y arrivera pas. Reste plus qu’à s’arrêter quelque part en chemin… Puis après cinq minutes, comme s’ils nous avaient entendu, un couple en pick-up s’arrête à notre hauteur pour nous offrir une boisson fraiche et demandent s’ils peuvent nous déposer plus loin, car disent-ils, une énorme montée nous attend à quelques kilomètres. Epuisés, on demande s’ils peuvent nous déposer au balneario. Ils acceptent avec plaisir nous racontant qu’il y a un an, ils avaient déjà pris deux argentins à vélo jusqu’à Coban. Quelle chance ! La montée qui suivait nous laisse deviner les intenses efforts qui nous attendent demain, car ça continue de beaucoup monter jusqu’à Coban.

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Le « camping » est situé au milieu d’une dense végétation où une grosse rivière se jette dans un petit lac. La douce lumière de la fin de journée baigne le tout. Des enfants jouent au foot (filles comme garçons), des femmes lavent le linge sur les rochers et transportent des jarres d’eau sur la tête tandis des hommes se reposent et discutent à l’ombre des arbres, certains un peu souls. Notre arrivée est bien sûr remarquée. Tout le monde nous regarde, plus ou moins discrètement. Comme sur la route, il y a surtout des regards amicaux. Les gens ici ne parlent presque pas l’espagnol mais le Quetchi, un dialecte maya, la communication est donc un peu plus compliquée. Pourtant quand la nuit tombe et que tout le monde s’en va, alors qu’on monte la tente une jeune femme vient nous voir et nous demande dans un espagnol approximatif si on voudrait lui acheter des coqs de combat qu’elle a élevé elle-même pour les faire combattre à Guatemala City. Surpris, on refuse gentiment tout en essayant de discuter un peu, contents qu’elle ait osé briser la glace. Elle vit ici et nous informe que la rivière est la source d’eau pour tout le village. Voilà pourquoi on voit toutes ces femmes munies sur la tête d’une jarre remplie d’eau passer en continu devant nous. Au petit matin à notre réveil, elles seront déjà là, dans la brume, à faire des va-et-vient d’une démarche souple. Dans leur longue jupe et chemisier colorés, elles effectuent avec une certaine grâce cette tâche épuisante.

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La route découpe maintenant franchement des paysages montagneux. Les montées très raides nous maintiennent dans un effort intense constant. Alors qu’on avance en faisant des petits virages pour tenter de diminuer la dénivelée, la chaine de Denis se met à sauter les pignons sous la pression. Résultat : il ne peut bientôt plus pédaler dans les montées. Il essaye d’abord de continuer en poussant son vélo mais on se rend vite à l’évidence : on ne va pas aller bien loin comme ça… Sachant qu’il nous reste encore beaucoup de montagnes à franchir dans les jours à venir, on décide de rejoindre la ville de Coban qui se trouve 30 kilomètres plus loin en stop pour réparer le vélo. Une fois là-bas, on se rend dans un magasin de vélo et le verdict tombe : Denis doit changer tous ces pignons ainsi que la chaine. Tout est à bout. Après plus de 13'000 kilomètres sans changer la chaine, c’est normal. Par chance, le mécano a des pignons et une chaine neufs de la même marque Shimano. C’est une marque chère mais qui nous a prouvé son efficacité et sa durabilité jusqu’à maintenant.

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Après un jour de repos, on s’élance pour une nouvelle semaine de vélo qui s’annonce autant intense physiquement que dépaysante. On va passer des cols et traverser des régions isolées, décrites comme ayant une culture indigène encore bien présente. Après une trentaine de kilomètres vallonnés, on entame une longue descente de 27 kilomètres de piste. Ça descend mais c’est loin d’être reposant. On est tout le long sur les freins, debout pour avoir un meilleur équilibre et éviter les grosses pierres et les trous. On traverse des villages pauvres remplis d’enfants qui nous crient des « Hola !, Adios !, et éclatent de rire. D’autres, des tout petits, nous regardent passer avec de grands yeux, surpris, comme si c’était la première fois qu’ils voyaient « des gens comme nous » sur « des vélos comme ça », et partent alors en pleurant se réfugier vers leur mère, prenant peur. Des fois, l’ambiance est un peu plus oppressante. Certains regards se font noirs et pas très accueillants. En réalité, rien de plus que ce qu’on a déjà pu rencontrer dans d’autres pays auparavant mais je n’arrive pas à m’enlever de la tête ce qu’on a appris la veille (même s’il n’y a pas de raisons que nous soyons concernés) : le lynchage est encore une pratique courante dans ces régions. En effet les 35 ans de guerre civile, finie pourtant en 1996, ont laissé des traces encore visibles aujourd’hui. N’ayant pas eu de système judiciaire fiable pendant toutes ces années, les habitants de ces régions indigènes se sont habitués à faire justice eux-mêmes. Les sévices infligés aux « coupables » sont très violents et souvent complétement démesurés. Les traumatismes subis durant la guerre s’expriment et engendrent alors des comportements d’une violence irrationnelle. J’ai d’ailleurs pu lire sur un panneau au bord de la route : « Toute personne qui amène un animal mort ou jette ses ordures ici sera mutilé par la communauté. » Un message, admettons-le, qui fait plutôt froid dans le dos…

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On descend toujours plus au fond de la vallée jusqu’à rejoindre la rivière qu’on traverse par le pont. La lumière du soir est belle recouvrant les montagnes de reflets bleutés. On campera cette nuit-là à côté d’un restaurant, sur accord du propriétaire.

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Le jour suivant, il faut entamer de nouvelles montées. Je mets les plus petites vitesses et je trouve mon rythme. Je laisse mon corps s’habituer à l’effort tout en m’efforçant de me vider l’esprit. Paradoxalement, les montées ont cet effet parfois apaisant sur moi. A certains moments, alors que je me concentre sur l’effort et sur ma respiration, j’ai l’impression que mes jambes se mettent à tourner toutes seules, mécaniquement. Je me mets alors à rêvasser. Mon esprit s’évade et je ne ressens plus de douleurs. C’est comme si j’oubliais la souffrance physique, déconnectée du reste, en pleine méditation active. Puis soudain un événement sur la route, un bruit, un camion ou autres me ramènent à la réalité et la difficulté revient. L’effort est intense. On transpire à grosses gouttes. Après deux heures de montées, je commence à avoir faim. Je fatigue. La route me semble être de plus en plus raide. Pour changer d’effort, je descends du vélo et le pousse. Soudain, un bruit d’éclatement retenti. C’est le pneu à Denis, il est tellement usé qu’il s’est troué et la chambre à air a explosé. Ça devait arriver… Ce pneu d’occasion acheté 5$ canadien à Calgary a déjà bien tenu le coup jusqu’ici ! Le problème est que ça ne va pas être facile de trouver un pneu de rechange, ici, au fond des montagnes guatémaltèques, sachant que la taille de nos roues (28’’) n’est pas monnaie courante. La prochaine ville est à 12 kilomètres. On décide de faire du stop pour s’y rendre et voir dans un atelier de vélo s’il n’y a pas un moyen de réparer le pneu au moins provisoirement. Deux hommes en pick-up nous embarquent assez rapidement et nous déposent à Uspantan, devant un atelier de vélo. Le mécano n’a effectivement pas de pneu de taille 28 mais il tente tout de même de réparer le pneu. Il bouche le trou en collant à l’intérieur du pneu un bout de chambre à air et un autre morceau de pneu. Une fois le tout regonflé, ça à l’air de tenir. On se dit que la réparation risque de ne pas faire long feu mais que ça ne coûte rien d’essayer de continuer à rouler. Etonnamment, malgré une bosse sur le pneu, ça tient. Denis pourra même rouler sans problèmes pendant quatre jours jusqu’au Lac Atitlan, c’est-à-dire sur plus de 200 kilomètres ! Et dire que dans nos pays où l’hyperconsommation sévit, beaucoup de personnes jettent leur pneu après une simple crevaison ! …

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La route qui suit Uspantan nous fait passer à travers des villages pauvres, faits autant de cahutes que de belles maisons en terre. On débouche sur un plateau où se dessinent des champs de cultures pour une fois de « taille humaine ». Il n’y a pas de machines, tout le travail est effectué à la main. Différentes cultures se côtoient : des choux, du maïs, des haricots, des fruits…etc. Il y a des fleurs, des arbres, des animaux. C’est beau. Ça me rappelle à quel point on a rien inventer avec la permaculture. On ne fait principalement que se rappeler des méthodes ancestrales en y apportant une touche de modernité. Ça me fascine de le voir de mes propres yeux. Certains habitants s’arrêtent de travailler la terre un instant pour nous regarder passer. Des enfants crient en nous voyant, rient et courent vers nous. Certains hurlent, des sourires plein le visage « Hola gringos ! ». Leur excitation et leur innocence me fait éclater de rire. Avec un peu d’imagination, on se croirait presque au Tour de France !

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On entame une descente de 15 kilomètres pour rejoindre la prochaine vallée. Puis ça remonte. Malgré la fin de journée et la fatigue qui va avec, on s’impose encore 3 petits kilomètres de montée très raide pour rejoindre la ville de Cùnen, où on devrait pouvoir poser la tente chez les pompiers. C’est au milieu de cette ultime montée de la journée que mon pneu avant décide de crever. Enervée, je suis d’abord tentée de finir en poussant le vélo mais ça ne me fera pas avancer plus vite. On s’arrête alors au bord de la route. Pendant que je répare la crevaison (heureusement c’est un petit trou), un groupe d’enfants s’approchent. Ils sont timides et rigolent nerveusement à chaque fois qu’on les regarde. Dès que Denis sort son appareil photo, ils s’enfuient tous en criant. Puis ils sortent de leur cachette pour revenir vers nous et ainsi de suite. Leurs rires me font oublier ma frustration. On se prête au jeu et fini par tous se fendre la poire, la fatigue aidant à déclencher des fous-rires.

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Après une bonne nuit chez les pompiers, on se met en selle pour monter à nouveau. Arrivés en haut, on se trouve à un des points les plus culminants de cette traversée des montagnes, à 2300 mètres. Puis on redescend sur une vingtaine de kilomètres et d’un coup, la chaleur nous enveloppe à nouveau une fois arrivés en bas. Les paysages sont bien plus secs. Même si on est encore très loin de voir l’océan, on est passé du côté pacifique du pays. La végétation change. Le vert des arbres se raréfie et fait place aux aiguilles de pins. La terre devient sablonneuse et l’air se charge de poussière.

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Ça monte encore et toujours. Les encouragements et pouces levés venant des voitures ou camions qui nous dépassent nous aident à continuer. C'est fou comme il en faut peu pour que le moral tienne bon ou au contraire, s'effrite. En se confiant l'un à l'autre plus tard dans la tente, on réalise à quel point on se sent à fleur de peau. Le voyage à vélo accentue par moment notre sensibilité et on se retrouve parfois émus aux larmes par des événements ou pensées qui à d'autres moments paraissent plutôt anodins. J'ai l'impression que cette sensibilité accentuée par l'effort physique et le voyage permet une ouverture aux autres particulière. Notre observation du monde n'est pas que visuelle ou mentale. Elle est ressentie à travers des émotions fortes qui nous chamboulent et nous forcent à porter un regard plus juste et nuancé sur le monde qui nous entoure.

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Une journée de vélo nous sépare de Chichicastenango, où on dormira une fois de plus chez nos amis les pompiers. Après un bon petit-déjeuner dans le marché aux milles couleurs, on entame notre dernière journée de vélo jusqu’au lac Atitlan. Après une ultime montée qui nous emporte à 2600 mètres, la descente qui suit vient marquer la fin de cette difficile mais magnifique traversée des montagnes guatémaltèques. On a en effet prévu de se reposer une semaine sur les bords du lac à San Pedro la Laguna. Notre émotion est forte quand s’étale enfin devant nous le somptueux lac. Alors que je me laisse emporter par l’ivresse de la descente, les larmes me montent aux yeux et ma gorge se serre... 

On l’a fait quoi ! Comme pour les rocheuses mais ici en encore plus intense et difficile, arriver au bout de cette chaine de montagnes à vélo me donne un sentiment merveilleux. Ça part des tripes pour monter au cœur puis exploser dans la poitrine. Les yeux tout mouillés, je me dis qu’à ce moment-là, j’échangerais ma place pour rien au monde. Après avoir rejoint la petite ville à flanc de volcan en bateau, on débarque sales, fatigués mais heureux comme des papes.

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Comme on dit : Après l’effort, le réconfort !

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A suivre.

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