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08 avril 2018

 

La frontière entre le Guatemala et le Salvador est plus symbolique qu'autre chose. C'est simple, tout ce qu'il suffit de faire est de présenter un passeport aux douaniers. Aucune somme ne sera payée, absolument rien ne sera tamponné, il n'y a même pas de guichet d'entrée. Apparemment, on entre et sort du Salvador à sa guise. Pour autant qu'on a des papiers valables bien sûr… Il n'y a pas de monnaie nationale non plus, ici on utilise le dollars américain depuis 6 ou 12 ans ( la réponse varie en fonction de la personne à qui on pose la question ).

C'est donc sans attendre que s'élance notre colonne de vélos à la découverte de ce si petit pays. La route est plutôt plate et en bonne état, ça dépend des tronçons. Une première impression est que les espaces sont plus vides, il y a moins de structures, de bâtiments qu'au Guatemala. Plus de pauvreté, aussi. Le soleil par contre est toujours le même, fort et brûlant (au moins 35 degrés ) et ce depuis qu'on est descendu des montagnes. On est quasiment sur la côte à nouveau. Ce soir si tout va bien, on dormira sur une plage de l'océan pacifique mais pour l'instant il nous reste encore 70 kilomètres à faire. On traverse des villages, longe des champs, d'immenses arbres bordent parfois la route et nous offrent un peu d'ombre. Lors de la dernière heure de vélo de la journée, une pluie tropicale plus que bienvenue se met à tomber. Alors qu'on atteint les premières habitations du village à la hauteur duquel on a prévu de camper, on s'arrête pour acheter des provisions dans une petite tienda. Un vieux monsieur à moitié sourd vient à la grille et essaie de comprendre tant bien que mal ce que je lui dit. Sa femme vient vite à la rescousse mais ne s'avère pas d'une plus grande aide. On finit par se comprendre et ils me donnent des spaghettis, de la crème et des œufs. Ils devront s'y reprendre à cinq fois pour être sûrs du prix à payer et du montant de la monnaie à rendre mais on s'en sort. Ils sont adorables et chaleureux. D'ailleurs alors que je leur dit au revoir, le vieux monsieur me dit avec un grand sourire : " Me da feliz que ustedes estan aqui, en Salvador." (ça me rend heureux que vous soyez ici au Salvador). Le plaisir est partagé, Senor !

On emprunte alors un chemin de sable qui mène à la plage. Recouverte de sable noir, elle s'étend à perte de vue, disparaissant au loin dans l'écume des vagues. Splendide. Par chance, on trouve une palapa (toit en feuilles de palmiers) inoccupée. Un homme confirme qu'on peut y camper sans problèmes. Après la baignade, des voisins nous proposeront même de se rincer avec l'eau douce de leur puit. Des familles se baladent sur la plage, l'ambiance est détendue. Un homme vient discuter alors qu'on mange et nous parle quand même de la présence de Maras dans les alentours mais confirme qu'on a pas à se faire de soucis tant qu'on ne se mêle pas à leurs affaires. On aurait en fait mieux fait de se méfier du chien qui nous tournait autour discrètement. Il a fini par réussir à nous chiper le sachet de crème fraiche et s'enfuir ventre à terre. Impossible de le rattraper… Tanpis, les pâtes et les œufs feront l'affaire. On s'endort donc sur nos deux oreilles malgré la chaleur toujours étouffante, épuisés.

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Au réveil, il me faut réparer une crevaison que je n'avais pas vu la veille puis nous voilà en train de longer la côte dans un enchainement de montées-descentes. Tout est complètement sec et beaucoup de déchets bordent la route. Des longs tunnels interrompent parfois cette route monotone. Ils font l'effet d'un agréable frigo dans cette chaleur étouffante. Sans aucun éclairage, voyant à peine nos mains, les traverser reste cependant périlleux, car nous sommes presque invisibles quand des camions nous dépassent, certains n'ayant même pas de phares eux-mêmes... On finit par rejoindre El Tunco en fin de journée. On retrouve dans un camping les canadiens et Jim, un motard Australien rencontré à midi dans un restaurant. Les grosses bières fraiches qu'on s'enfile autour d'une table à l'ombre d'un arbre sont plus que bienvenues.

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Avec les Canadiens, on prévoit une autre stratégie pour le lendemain afin d'éviter cette chaleur assommante. Le plan est de partir qu'à 15h30 pour se rendre 63 km plus loin à Zacatecoluca où on devrait être accueillit chez les pompiers. Je ne suis personnellement pas convaincue par ce plan sachant qu'on roulera forcément de nuit (ce qui est déconseillé au Salvador, sachant qu'il y a un couvre-feu par endroit), vu que le soleil se couche vers 18h30 et qu'il nous faudra forcément un peu plus de 3 heures pour atteindre la ville à moins d'y aller "à fond les vélos". On laisse les canadiens partir devant et après 13 km alors que le ciel se couvre de nuages noirs, on décide de s'arrêter pour trouver un endroit où dormir et partir tôt le lendemain. On trouve refuge dans une piscine municipale, le gardien nous laissant dormir dans un bâtiment vide et utiliser la douche et les toilettes pour 3 USD. On a bien fait car après une demi-heure, un immense orage arrive. La pluie tombe à trombes d'eau accompagnée d'éclairs et de gros coups de tonnerre. On pense à nos amis et espère qu'ils vont bien.

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Le jour suivant, on parcoure sans grosses difficultés les 50 kilomètres qui nous séparent de Zacatecoluca. A midi on s'arrête dans un marché manger des pupusas, particularité culinaire du Salvador. On est agréablement surpris autant par le prix bon marché que le goût. Trois de ces délicieuses galettes fourrées et un refresco pour 1 USD ! Le soir on dort chez les pompiers, qui une fois de plus nous accueillent avec gentillesse. Ils nous confirment que nos amis sont bien arrivés la veille au soir et sont repartis le matin même. Ils nous disent être habitués aux voyageurs de passage, autant les cyclistes que ceux en van.

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Réveillés aux aurores, alors que la vie quotidienne se met en marche dans la douce lumière du matin, on roule un peu plus d'une heure sur une route complètement plate. Puis on tente de faire du stop pour rejoindre une plage qui n'est pas sur notre chemin (elle se trouve à environ 90 kilomètres) mais qu'on nous avait recommandé pour sa beauté. Très vite, un homme en pick-up nous embarque. Il travaille pour le gouvernement. Son travail consiste à servir de lien entre le gouvernement et les paysans qui souhaitent récupérer leurs terres. Il nous explique alors le coup d'état militaire qui a eu lieu une dizaine d'années plus tôt et nous raconte comment dès lors, le gouvernement de gauche inspiré de la politique chaviste tente de faire appliquer des mesures sociales, principalement dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'agriculture. Il nous explique qu'ils ont réussi à rendre la santé et l'éducation gratuites pour tous. Les enfants reçoivent même un uniforme et un repas gratuit tous les jours. Ce point-là a permis entre autres de convaincre tous les parents, surtout les plus pauvres, n'ayant alors plus à se soucier des dépenses que pourrait engendrer la scolarité de leurs enfants. Mais ces mesures sociales ont malheureusement vite trouvé leurs limites. Le conducteur nous donne l'exemple d'un projet d'hôpital pour femmes qui avait pour promesse initiale d'assurer à toutes les Salvadoriennes un accouchement dans de bonnes conditions, le but  étant de faire baisser le taux de mortalité infantile alors élevé. Environ 60 millions de dollars ont été débloqués pour ce projet. Finalement l'argent a mystérieusement "disparu" et le projet n'a jamais vu le jour... L'éducation gratuite aussi connait ses limites. Tous les enfants vont à l'école certes mais arrivés à l'âge des études supérieurs, les places gratuites sont très limitées et seulement une poignée d'étudiants auront la chance d'obtenir une bourse pour finir leurs études et ainsi accéder à de bons postes de travail. Les autres se rendront compte non sans frustration que pour eux l'avenir reste bouché, faute de moyens. Car il y a bien des écoles privées mais seuls quelques riches privilégiés du pays y ont accès. Malheureusement je crois qu'on peut dire que ici aussi, le pouvoir et l'argent ont su corrompre le cœur des dirigeants socialistes… La droite quand à elle, issue de classes sociales plus élevées et prête à rivaliser avec les socialistes pour préserver ses avantages, a réagit en proposant des mesures économiques libérales, ouvrant ainsi le pays aux marchés extérieurs. Aujourd'hui, elle convint de plus en plus le peuple salvadorien en offrant des solutions à court terme. L'exportation de produits locaux par exemple, apporte des entrées d'argent considérables tout en créant des emplois. Mais on sait que petit à petit, de telles mesures économiques pillent le pays de ses propres richesses tout en augmentant les inégalités sociales. Le capitalisme aussi, connait ses limites… Actuellement, le Salvador est donc divisé entre une politique de gauche corrompue qui s'essouffle, un peu dépassée et sur le déclin face à une droite qui sait être présente sur tous les fronts économiquement et soutenue par les multinationales, les ONG et les gouvernements capitalistes (surtout les USA mais pas que)... En effet, la droite accepte toutes formes de "soutien financier" ce qui bien sûr, stimule l'économie du pays aujourd'hui mais risque aussi d'engendrer par la suite les problèmes qu'on connait déjà dans les pays dit "développés" soit : un fossé grandissant entre les riches et les pauvres, une société individualiste dans laquelle s'épanouit la culture du "chacun pour soi", une consommation irresponsable grandissante, les problèmes écologiques qui en découlent... etc. Bref, tous les problèmes qu'on rencontre déjà dans nos contrées libérales et capitalistes.

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Pour conclure cet échange passionnant, notre conducteur nous fait part de sa frustration et d'un certain dépit face à cette situation politique qui annonce, pour l'instant, que peu d'issues réjouissantes… Il a décidé pour sa part de rester au Salvador pour essayer de changer le pays de l'intérieur mais c'est loin d'être le cas de tous. En effet, plus tard dans la journée après 20 kilomètres de vélo, on embarque sur un autre pick-up. Le conducteur cette fois-ci représente un autre point de vue dans ce pays divisé. Maintenant à la retraite, il raconte avoir passé 30 ans de sa vie aux USA comme travailleur étranger. Pendant tout ce temps, il envoyait régulièrement de l'argent à sa femme, restée au pays. C'est non sans fierté qu'il parle de ses 30 ans d'exil. Il insiste d'ailleurs pour parler anglais bien que je lui réponde en espagnol. Il affirme que grâce à ces années passées là-bas, il mène maintenant une vie de riche ici, étant propriétaire de deux maisons au bord de l'océan. Face à son enthousiasme, sa femme reste silencieuse, le visage fermé presque triste. J'imagine que cette vie loin de son mari, sans enfants, ne fut pas si rose que son mari le prétend. Comme au Mexique et au Guatemala, l'émigration économique vers le géant du Nord est chose courante. Elle engendre entre autres un phénomène particulier, celui de la "désintégration familiale". Les enfants de parents partis aux USA en quête de travail restent seuls, ou sont placés dans le foyer d'autres membres de la famille. Souvent délaissés et livrés à eux-mêmes, ils deviennent des "proies" faciles pour les gangs et continuent d'alimenter la délinquance juvénile du pays en intégrant les Maras. Comme un serpent qui se mord la queue, le pays n'avance pas.

 

Notre court passage de 6 jours au Salvador sera ponctué de rencontres toujours chaleureuses malgré le climat ambiant un peu tendu. En effet, quasi à chaque fois que nous avons rencontré des gens, ceux-ci nous mettaient en garde contre les Maras, nous disant à quel point ils pensaient qu'il était dangereux pour nous de traverser ce petit pays à vélo. Il est vrai qu'à force d'entendre encore et encore qu'un potentiel danger d'agression nous attendait à chaque coin de rue, on a fini par être plus sur nos gardes ou du moins plus méfiants envers la population. Il faut dire que cet état de méfiance paraissait être le climat ambiant pour tous, pas que pour nous, voyageurs étrangers. Par exemple, l'avant-dernier jour, alors qu'on mange dans un parador, un grand-père accompagné de son petit-fils nous observe manger puis vient finalement nous parler, curieux de savoir qui nous sommes. Après nous être présentés, il nous regarde d'un air septique… Puis il nous demande, très sérieusement : " Etes-vous des espions travaillant pour les services secrets ? "… Autant dire qu'on ne s'y attendait pas à celle-là ! Plus tard cette même journée, un pneu à Denis crève. Vu l'état de sa vieille chambre à air déjà mainte fois réparée, il faut la changer pour une neuve. On en a bien une mais la "tige" de celle-ci est trop grosse pour entrer dans le trou de la roue ! On décide alors de faire du stop jusqu'à un atelier de vélo. Un homme en pick-up nous embarque assez vite. Assez âgé, il nous explique qu'il s'est arrêté pour nous prendre, car cette route est dangereuse. Deux gangs rivaux maras se partagent un territoire dans le coin. Il raconte que sa maison qui est à moins de 20 km de là, s'est retrouvée pile au milieu des deux "territoires" et qu'il a du vite mettre les choses au clair avec les gangs pour qu'ils sachent qu'il ne soutenait ni l'un ni l'autre et qu'il ne voulait pas d'histoires. Puis il dit qu'il peut nous déposer à un atelier de vélos pas loin de chez lui. On se regarde avec Denis, un peu inquiets, se demandant où est-ce qu'on va débarquer (au milieu d'un gang ?). Finalement, l'atelier est au bord de cette même route et bien que les regards des quelques hommes présents ne soient pas d'abord des plus accueillants, le mécano demande tout de suite s'il peut nous aider. Au fur et à mesure de l'échange, l'ambiance se détend et pendant qu'un plus vieux, bavard, commence à nous taper la discussion, les autres plaisantent. A l'aide d'une lime, le mécano réussit à élargir le trou de la roue et la tige de la chambre à air peut alors passer ! Après sourires et remerciements (le service fut gratuit), on s'en va à nouveau sur nos vélos. C'est alors qu'un jeune homme à l'air un peu louche sort d'une autre rue parallèle, lui aussi à vélo et se met à rouler derrière nous. J'avoue que la première chose qui me vient à l'esprit est de me méfier… Alors que le jeune me rattrape et se retrouve à ma hauteur, à côté de moi, je le vois prendre quelque chose dans sa poche. Il me regarde avec un sourire et me tend une main remplie de petits fruits. J'accepte en lui rendant son sourire et pendant que je le vois faire la même chose avec Denis quelques mètres devant moi, je me sens un peu honteuse… A force d'entendre tout le monde nous dire de faire attention, on commence à être légèrement paranos sur les bords ! Et pourtant 20 kilomètres plus loin, pas loin de l'hôtel indiqué sur Overlander, on assiste au contrôle de police musclé de deux jeunes qui ne faisaient absolument rien à part être assis sur un banc. Les deux policiers pointant leur arme sur les jeunes, leur ordonne de se coucher à terre les mains sur la tête puis les menottent avec force. Ne comprenant pas si cette scène est banale ou pas, on s'éloigne discrètement vers l'hôtel. On peut y camper dans la cour pour 5 USD et avoir accès à une salle de bain. La famille qui s'occupe de l'endroit, un jeune couple et leur fille de 5 ans, sont sympas. Ils nous expliquent que la scène avec la police est une banalité par ici et que ce n'était qu'un simple contrôle de routine pour vérifier que les jeunes n'étaient pas des délinquants…

 

C'est avec des pensées un peu confuses que je tente de me laisser aller au sommeil. Mais la chaleur reste moite et étouffante bien qu'il fasse nuit… Allez, on ferme les yeux. Demain, on quittera déjà le Salvador pour laisser place une fois encore, à un nouveau pays, l'Honduras.

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