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9 mars 2017 

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«Nous sommes le 17 février, il est 03:28 du matin,  Dolphin n'avance plus... Notre vitesse actuelle est de 2,5 Kt* ( 4,6kmh), notre cap est de 272°degré West et nous nous trouvons quelque part entre le 12ème et le 13ème parallèle Nord près du 47ème méridien. Mais voilà, le foc*, sous le coup d'une bourrasque plus grande que les autres et de part son âge s'est déchiré en deux parties qui fouettent désormais l'air dans un bruit déchirant. Après plus de 19 Jours ( 8 jusqu'au cap vert et 11 depuis ) , le navire commence à accuser quelques coups.»

Pour vous raconter cette transatlantique, je me dois de commencer par le début, par l'attente. L'attente à Las Palmas qui a duré 30 Jours et qui finalement aura duré aussi longtemps que la traversée en elle-même. 

 

Dans un premier temps, il a fallu préparer le bateau, resserrer la filière*, changer la pompe, recoudre la grande voile, construire des pagaies, vérifier le mât et bien plus encore. En soit, s'assurer qu'au milieu de l océan tout se passera bien.

Enfin est venu le moment où le bateau était prêt pour sa première grande traversée. 

C'est là qu'a réellement commencé l attente. Celle qui force le respect et te fait sentir en connexion étroite avec les éléments. L'attente du bon vent et celle bien plus terre à terre qui consiste à attendre un courrier concernant la situation bancaire d'Henrika.

Malheureusement, la poste espagnole a été encore plus tenace que le vent à nous faire attendre. Une fois que les Alizés* sont revenus, il nous a encore fallu patienter 10 jours que cette fichue lettre arrive. 

Heureusement, pendant cette période on s'est liés d'amitié avec nombres de personnes aux histoires toutes plus folles les unes que les autres. On a aussi commencé à trouver nos repères à Las Palmas qui ,au départ, ne nous donnait pas franchement envie. C'est là-bas que l'on a passé respectivement Noël et Nouvel an. 

Puis, ce jour tant attendu est arrivé, la lettre a été délivrée et une fois les courses pour 30 jours faites (ce qui n'est pas une mince affaire), nous avons comme qui dirait mis les voiles direction Grenade .

Difficile de décrire ce que l'on ressent quand on voit la terre s'éloigner et que l'on sait que pour les 20-25 prochains jours on évoluera dans le petite espace que représente un voilier. 25 mètres carré partagés avec 2 autres personnes que l'on connaît très peu et qui ne sont franchement pas facile à vivre tous les jours...  

Ce départ signifiait aussi la fin de bon nombres de doutes qui nous avaient assiégés depuis la projet même de ce voyage. Trouverait-on un voilier qui veuille bien nous prendre avec nos deux vélos pour nous emmener de l'autre côté de l océan ? 

Ce qui semblait fou au départ et qui faisait rire pas mal de personnes se concrétisait enfin. L'heure n'était plus aux doutes mais à la réjouissance. Bien sur, cette traversée signifiait aussi que l'on quittait pour de bon l’Europe sans trop savoir comment et quand on reviendrait. 

Je dois dire que j'ai beaucoup pensé à ma famille , à mes amis, à Alex qui nous suivait dans le ciel. Une petite larme a peut-être glissé sur ma joue mais le vent l'a très vite séchée car en l’occurrence il répondait présent et nous filions a 5-6 noeuds.

Les 2 premiers jours on été difficiles , il faut s'habituer aux mouvements continus du bateau et chaque action doit être repensée. Dormir, s'habiller, aller aux toilettes, cuisiner, manger tout prend beaucoup plus de temps et nécessite une certaine vigilance si on veut éviter de se cogner trop violemment. Il faut dire que l'hôpital n'est pas vraiment à côté... Il faut aussi prendre le rythme des quarts qui régule tes journées et qui t'empêche de dormir plus de 5 heures à la suite. Puis, de jour en jour tu t'habitues et une nuit, en regardant le ciel se confondre avec la mer, en regardant les étoiles filer dans le ciel et en voyant la vie aquatique laisser des traces fluorescentes dans l'eau tu te dis que tu voudrais être nulle part ailleurs. « Et voilà que l'aube a pointé le bout de son nez, j'en suis resté bouche bée , le coeur palpitant, les frissons sur tout le corps. De quart entre 05:00 et 08:00, la nuit, l’infini a laissé se dessiner une bande blanche à l'horizon annonçant le lever du soleil. Les dauphins sont venus se joindre à ce spectacle et petit à petit la boule de feu, la boule de vie est apparue. Je croyais alors voir le bout du monde, la fin de la terre , la grosse cascade mais non. Au bout de l'horizon, l'Afrique qui à l'heure qu'il était devait déjà être frappé durement par le soleil».

Ce même jour, Ralphe nous a appris qu'on ne se rendrait pas directement aux caraïbes mais que l'on ferait halte au Cap-Vert, « avec plaisir capitaine » . 

Cette traversée a parfois été dure, notre relation avec Henrika s'est détérioré devenant parfois invivable ; les aléas du bateau stop. Mais qu'est ce qu'elle fut forte, intense, à la hauteur de mes espérances et même bien plus. Le monde de la navigation est un monde à part qui échappe à la frénésie des villes, un monde rempli de légendes, de héros, de fous qui ont osé croire qu'ils peuvent dompter la mer. Un bateau, de mon point de vue s'avère être tantôt un ticket pour le paradis tantôt une prison. 

Il est bon de rappeler que sur la mer tu ne pèse pas grand chose, un drame est bien vite arrivé et gare à celui qui aurait la maladresse de tomber du bateau...

Au cours de la traversée, deux voiles se sont déchirées , 150 litres d'eau ont  disparu ou jamais existé ( Du à une mauvaise estimation de la taille des réservoirs d'eau. Heureusement on avait encore bien assez d'eau). Le bateau a failli se coucher sous la puissance d'un méchant grain* et notre capitaine n'est pas passé loin d'être projeté par dessus bord en trébuchant lors d'une manoeuvre . 

En sois rien de trop grave, juste des rappels que tout peut dégénérer très vite.

 

Après avoir recousu les deux foc, les alizés se sont malheureusement montrer capricieux. Si bien qu'un jour, n’avançant plus du tout, on a pu se jeter à l'eau .

Se baigner comme ça au beau milieu de l'océan m'a mis, je l'avoue, la boule au ventre et m'a envoyé une bonne dose d'adrénaline. Voir les rayons de soleil plonger dans les abysses, faire quelques brasses pour s'éloigner du bateau puis se retourner vers lui et le voir flotter comme perdu sur l'eau. Cela accentue le fait que nous ne sommes qu'une poussière sur l'océan.

 

Ces jours là, où la mer était d'huile, ont permis de recharger les batteries et d'accepter que ma foi 4km/h c'est toujours ça...

De manière générale sur Dolphin, j ai pris le temps. Pour une fois je ne courrais pas à droite à gauche mais je savourai pleinement l'instant. J ai pris le temps d'écrire, le temps de lire, le temps de ne rien faire d'autre que de contempler l'horizon et les vagues. 

Après 19 jours en mer revoir la terre m'a fait quelque chose et je terminerai par ces lignes.

Il est 04:27 , nous filons à 3,6 noeuds et nous ne sommes plus qu'a 15,1 NM* de Grenade. 

« Land! Land! Putain de terre en vue ! Quelle sensation, une fois de plus, dur a décrire mais je vais essayer. Ça fait tout bizarre, quand je suis sorti prendre mon ultime quart (03:30-06:00) et que j'ai vu si près de nous, si clairement cette bande de lumière, ces petits points lumineux signalant la côte est de Grenade. Mais surtout, prouvant la présence d'humains vivants, de vie se déroulant, ça m'a fait quelque chose... Oui l'île est belle et bien là où elle devrait être, il y a du monde là bas. Comme un vieux souvenir qui revient, l'humanité, comme un vieille ami qui nous a manqué et qu'on voit désormais avec des yeux nouveaux. Des yeux qui viennent de traverser l'atlantique, qui  à la vitesse moyenne de 8 km/h se sont déplacés comme au ralenti échappant au temps usuel. Comme des âmes flottantes qui forcés de cohabiter ensemble, pour le meilleur et pour le pire ont dû faire preuve d'adaptation. Ont aussi dû se regarder dans la glace en se demandant : Qui suis-je finalement, où vais-je? J'en pleurerai. Dans quelques heures, le soleil va se lever, j'en trépigne d'impatience.»

 

Voici en quelques lignes mes impressions sur cette traversée. Les passages entre guillemets sont issus de mon carnet de bord .Je me suis focalisé dans ce récit sur la traversée aussi je ne parle pas de notre escale au Cap Vert de 10 jours. Elle a été remplie de bon moments et s'inscrit parfaitement dans notre envie d'aller tranquillement autour de la terre, sentir l'air se réchauffer, les langues évoluer et les paysages se modifier.

 

* 1 noeud = 1,852 KM/H

* 1 miles nautiques ( NM) = 1,852 KM

* Le foc désigne une voile à l'avant du bateau de forme triangulaire

* Un grain est un événement météorologique au cours duquel la vitesse du vent s'accroît de façon brusque et marquée avec un net changement de direction, il s'accompagne notamment d'averses de pluie.

* L'alizé est un vent régulier soufflant dans l'hémisphère nord du nord-est vers le sud-ouest de façon régulière.

* Une filière est un câble qui fait le tour du bateau et qui permet de diminuer les risques de tomber à l'eau.

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