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11 mars 2017

 

22 janvier 2017,10h30, départ du port de Las Palmas. A ce moment-là, on pense partir pour 3 semaines de mer, sans poser une fois le pied à terre, cap sur l'île de Grenada dans les Caraïbes. Après une nuit à l'ancre au sud de l'île, on s'en va au lever du soleil laissant derrière nous les magnifiques îles canaries, qui nous ont acceuillis 2 mois. C'est un sentiment nouveau que je ressent en regardant s'éloigner l'énorme cratère du vieux volcan endormi qui peu à peu se rappetissit pour finalement disparaitre complètement à l'horizon... Je ressens comme un vide, une sorte de détachement. Nous ne sommes plus sur terre. Tandis que Dolphin nous emmène toujours plus au large, la profondeur de l'eau ne se compte bientôt plus en dizaines mais en centaines voir miliers de mètres. Nous sommes dans le monde de l'eau. Entre ciel et voiles. C'est parti.

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Les 2-3 premiers jours sont un peu difficiles niveau amarinage. Notre corps doit s'adapter au mouvement constant du bateau. Cuisiner, manger, dormir, se déplacer, s'habiller... Tout est compliqué. Alors oui, au début on mange et on se déplace peu tandis qu'on se cogne aux murs et se repose beaucoup. Puis gentiment on prend le rythme. On choppe le tempo des vagues et on apprécie de plus en plus ce quotidien hors de la société, hors du temps. Une routine s'installe, régulée par l'horaire des quarts de chacun, les levers et couchers de soleil et de lune. L'alternance du jour et de la nuit devient le seul repère naturel pour observer le temps qui passe. Chaque jour, des dauphins nous rendent visite et c'est toujours une grande joie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Il y a quelque chose de rassurant de voir ces mammifères. Leur présence nous rappelle que nous ne sommes pas si seuls. La vie grouille sous la coque et tout autour de nous. C'est un monde plus difficile à percevoir pour nous êtres humains mais qui pourtant est bel et bien là, et vit. Ou plutôt survit. En effet, la pollution et la surpêche affaiblissent, vident et dérèglent peu à peu les océans. Ce qui était le plus frappant à nos yeux à ce niveau-là, était la présence régulière de cargos sur le radar mesurant parfois jusqu'à 300 mètres, passant d'un sens comme dans l'autre. Et aussi l'absence de poissons... En lisant les aventures de marins qui traversèrent ce même océan il y a seulement 30 ans, on apprend qu'à cette époque, le poisson était abondant et s'en nourrir n'était pas difficile. 30 ans plus tard, sur la même trajectoire, on pêchera une (presque deux) daurades en 8 jours... 
Après 5 jours, Ralph nous propose de faire escale au Cap Vert. Mais avec grand plaisir capitaine !  Ca nous permettra de remplir les stocks d'eau à nouveau et aussi d'avoir une coupure sur terre et éviter 3 semaines complètes en mer. La peur du manque d'eau est plus que légitime en mer, c'est même la base pour survivre si problèmes il y a. Mais notre bateau a quand même 3 réservoirs, deux de 150 L et un de 300L. Ce qui fait 600 en tout. On devrait avoir de la marge car d 'autres marins nous ont dit qu'en général les voiliers ont 400L de réserve max. Bref, quelque part, peu importe les raisons, je suis heureuse de cette escale imprévue ! Et si ça peut permettre à Henrike de moins stresser pour chaque goutte d'eau qui tombe, c'est bien aussi...

 
La nuit avant l'arrivée à Ilha do Sal, je suis en quarts avec Ralph, quand d'un coup on aperçoit comme des trainées de lumières dans l'eau. Des dauphins ! Avec le plancton, de nuit ils deviennent phosphoresants. On dirait des serpents de lumières. Ça a l'air irréel, on dirait un rêve. Une fois de plus, je réalise à quel point la nature est belle. La plus grande des artistes, en fait, c'est elle...


On arrive un dimanche au Cap Vert et ici c'est jour de fête ! On fait la rencontre de Max, un anglais de 21 ans qui fait la traversée en solo, et d'un groupe de Français musiciens. On va les voir au bar où «Junior Nesta» alias Seb fait une performance de rap/reggae remarquée, vraiment cool. On boit, on danse, on discute, entre marins et locaux. L'ambiance est génial, ça fait du bien de sortir le temps d'une soiree de l'atmosphère parfois étouffante du bateau. 3 jours plus tard, au départ pour Mendelo, une dispute éclate avec Henrike... Ça devait arriver. Parait que c'est fréquent dans les équipages lors des retours sur terre. En mer, on se contrôle et une fois à terre, ça explose. Je ne vais pas entrer dans les détails mais bien que ça ait permis de mettre des choses plat, je suis un peu déçue...C'est dommage, ça met un peu un froid dans l'équipe.

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A la marina de Mendelo, on rencontre pas mal d'hitchhikers à la recherche d'un bateau pour l'Amérique latine, comme à Las Palmas. Sauf qu'ici la tendance s'inverse. Beaucoup de capitaines ont vu leur crew quitter le navire une fois arrivés à terre. Beaucoup pour cause de problèmes relationnels mais aussi à cause de mal de mer incurable ou changements de plans et d'envies. Du coup, ici c'est les bateaux-stoppeurs qui peuvent choisir avec qui ils préféraient traverser. Du grand luxe !

On fait 2-3 belles rencontres et on retrouve même Maïwenn et Julien qu'on avait rencontré à Las Palmas. Ici, niveau contact avec les locaux, c'est différent qu'à Ilha do Sal. C'est plus difficile. Dans la rue beaucoup de gens, d'enfants nous demandent de l'argent. La riche marina au style luxe et "select" avec agents de sécurité, au coeur de la ville plutôt pauvre donne une image un peu "anciens colons" des étrangers et n'aide sûrement pas à voir les touristes autrement que comme des portes-monnaies ambulants... Heureusement, le dimanche on tombe sur le défilé de préparation du Caranaval qui marche dans toute la ville. On se mêle au cortège, au rythme des tambours, des chants, des cris et des rires. C'est un super beau moment !

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Le 07 février, c'est le départ pour la "grande traversée". On sort du port sans trop de problèmes mais la tension est déjà palpable... Henrike est stressée et du coup désagréable, ce qui ne fait que renforcer mon mal aise.. J'avoue que c'est difficile pour moi de passer outre la dispute qu'on a eut et ce comportement agressif qu'elle peut avoir envers nous, suivant son humeur et son niveau d'angoisse. Pourtant il le faut...On hisse les voiles pour en tout cas 18 jours de mer voir plus.

Puis assez vite, on croise un groupe de globycéphales ce qui me remontent très vite le morale ! C'est des sortes de dauphins-baleines, super gros, noirs, impressionants avec cet énorme front qui leur fait une tête ronde. On les observe deux minutes et ils repartent aussi vite qu'ils sont venus. 

La routine des quarts se remet rapidement en place. Très vite, Henrike est malade. Elle vomit beaucoup. Elle a l'habitude mais là on part pour longtemps donc il ne faut surtout pas qu'elle se déshydrate... Une fois au large, il faut éviter à tout prix le moindre problème de santé, car l'isolement est alors total. Après une semaine éprouvante, elle se sentira heureusement mieux jour après jour. 

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Un matin alors que je me réveille dans la cabine, une grosse vague percute le bateau et des litres d'eau s'engouffre par la fenêtre ouverte. Tout est trempe. Sacs de couchage, matelas, habits. Heureusement, il y'a du vent et du soleil, tout sèchera donc assez rapidement sur le pont. Mais waou ça réveille !! Compris, ça n'arrivera pas deux fois !

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Malgré les différends, un rythme dans la vie du bateau commence gentiment à prendre forme. L'excitation du premier départ est retombée et l'équipage est plus calme. Chacun s'occupe comme il veut. Lecture, pêche, cuisine, manœuvres, films, rêveries... Le temps passe et on avance tranquillement. Quelques oiseaux viennent nous visiter de temps à autres. Le vent est bon et on avance bien. 

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Au moins 10 jours sont passés sans qu'on ait vu une trace de dauphins quand soudain j'aperçois une ombre dans les vagues... Des dauphins de Risso !! Ils sont énormes, massifs et plutôt lents. Ils ont l'air d'être en train de chasser. Des poissons volants sautent de partout tandis que les prédateurss se positionnent en ligne dans les vagues. Quand d'un coup, ils se mettent à sauter les uns après les autres. Impressionnantes les bêtes !

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Certains matins, on retrouvera quelques poissons-volants échoués sur le pont. De nuit avec le vent ils ont du mal gérer leur trajectoire, les pauvres... Mais comme on dit, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ceux qui n'auront pas eut le temps de sécher au soleil finiront dans nos estomacs après avoir été grillés à la poêle ! Mmmm un délice. Un autre jour, on aperçoit des grosses daurades magnifiques chasser des poissons-volants autour du voilier. Les pauvres... Jamais tranquilles.

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Le 12ème nuit environ, le jib (voile à l'avant) se fent en deux. La veille un autre jib s'était déjà troué... Du coup, Henrike a du faire un gros travail de couture avec sa machine pour réparer tout ça.

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Pendant quelques jours, le vent disparait petit à petit pour carrément disparaître toute une journée. On en profite du coup pour se baigner autour du bateau. Au milieu de l'océan, je fais la planche, les yeux dans le ciel, je flotte dans le silence... Je me sens aussi petite qu'un grain de poussière, vulnérable, à la merci de la mer, de sa puissance. "Nous sommes peu de choses". Cette phrase me vient à l'esprit et prend alors tout son sens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Au final, la plupart de mon temps, je le passe à lire et rêvasser, penser, réfléchir ou contempler. N'est-ce pas une des meilleures opportunités pour faire le point un peu sur la Vie, sur qui nous sommes ? Dans mon esprit, mes pensées ne sont plus de simples passagères d'un instant. J'ai maintenant le temps de les écouter, de les décortiquer, de les faire mûrir. Qui suis-je, en fait ? ... Je crois que ce fut d'abord comme un retour aux racines, un voyage de la mémoire, à l'intérieur. Un proverbe africain dit « Si tu ne sais plus où tu vas, rappelles-toi d'où tu viens ». J'ai beaucoup pensé à ma famille, à mes amis, à mes racines. J'ai ressenti certaines nuits pendant la douce solitude des quarts, le regard alors perdu dans l'Infini, la puissance de l'Amour que j'ai pour eux mais aussi pour la Nature et tout ce qui la compose. Un immense amour pour ce mouvement éternel qu'est la Vie. Nous faisons partie du grand Tout et à la fois nous ne sommes rien... Cette vie n'est qu'un passage, un voyage en soi. Et si on est attentif et à l'écoute des vibrations, nous sommes toujours guidés. Ça commence par apprendre à se connaitre, s'accepter comme on est, être qui l'on est et tout faire pour le rester. Alors seulement, nous sommes réellement prêt et apte à aider les autres. Je crois que c'est la leçon que j'ai pu tirer, au terme de ce long périple qu'a été cette traversée. La traversée d'un océan mais au final surtout celle de moi-même. 

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